Eva Weister ♦ Why are you so scared?

« Vous attendez des jumeaux. »
Nulle joie, nulle surprise teintée de bonheur. La femme porta ses mains sur sa bouche grande ouverte à cause de l’émotion. Mais dans ses yeux on ne lisait que la stupeur. Elle et son mari ne souhaitaient qu’un héritier, de préférence un garçon. Un beau garçon de la race arienne, grand, blond, les yeux bleus ou à la limite, verts. La race parfaite, décrite et vénérée par l’idole du couple Weister. Adolf Hilter, homme d’une époque presque enterrée et oubliée.
Les gens ont une fâcheuse tendance à oublier leurs erreurs passées si elles ternissent leur image.
« Des faux jumeaux plus exactement, un garçon et une fille. »
Katja Weister se leva brusquement. Elle se tenait droite, fière, toisant le médecin qui ne savait plus quoi dire pour tenter d’arracher un sourire éperdu du bonheur d’être deux fois mère à sa patiente.
Mme Weister était une belle femme, grande et blonde. Ses yeux étaient deux prunelles métalliques, froides. Ses cheveux longs tombaient en une cascade ondulée jusqu’au creux de ses reins. Ses traits étaient doux, et sa peau pâle.
« Merci, au revoir. »,fit-elle d’une voix neutre, ne laissant transparaître aucune émotion.
Puis elle s’en alla, maudissant la deuxième vie qui sommeillait dans ses entrailles. Cette petite fille n’avait pas à être là. Son mari serait furieux, elle en était sûre et certaine. Wilfried serait d’une humeur massacrante jusqu’à l’accouchement.

Eva ne profita pas de son enfance, comme n’importe quel enfant issu d’une famille riche. Sa chambre était petite, terne, tout le contraire de la pièce immense et colorée dans laquelle dormait son frère, Evan. Elle n’eut pas autant de cadeaux que lui, et lorsque sa mère parlait à Evan avec douceur et gentillesse, elle n’avait que du mépris et de la froideur. A l’école, lorsqu’elle ramenait de bonnes notes, elle n’obtenait qu’un grognement. Elle était une enfant indésirable, et on lui faisait bien sentir. Seul Evan était gentil et agréable avec elle.

Et les dires de ses parents au parents de ses camarades de classe n’aidaient pas la petite fille à se faire des amis. Tous les autres la dédaignaient, elle, le vilain petit canard des Weister.

Pourtant… Jamais on ne lui mit de claques, et elle ne fut grondée que peu de fois, s’appliquant à être irréprochable, comme pour contredire la piètre opinion que ses parents avaient d’elle. Jusqu’à ses quatorze ans, Eva se forgea une carapace d’indifférence et de froideur. Elle était toujours seule, mais cette solitude ne l’affectait plus.






Tout bascula un soir de décembre.

Un livre rédigé en allemand dans les bras, Eva se hâtait. Il neigeait, et la nuit était déjà tombée. La jeune fille tremblait, malgré son manteau noir dans lequel elle était emmitouflée. La couleur du vêtement jurait avec sa peau de porcelaine. Ses yeux verts scrutaient les alentours, avec une pointe d’inquiétude. Soudain elle trébucha, et s’écroula de tout son long sur le trottoir.
Le vent tournait les pages du livre ouvert vers le ciel. Tandis qu’Eva se relevait, elle perçut un mouvement sur la gauche. Elle repris son livre, en essayant de contenir son affolement. Quelqu’un l’observait, elle était certaine.
« Qui est là? »,demanda t’elle d’une voix qui se voulait assurée et forte.
Elle n’obtint qu’un couinement pitoyable. Puis une douleur intense naquit au niveau de sa nuque. Elle avait déjà perdu connaissance lorsqu’elle heurta le sol pour la seconde fois.
On ne chercha la jeune fille que le lendemain matin. Ce furent surtout les voisins qui s’inquiétèrent pour elle. Les parents d’Eva ne ressentaient que de la colère. Cette fille « indigne » ne pouvait qu’avoir fugué.
Un des voisins la retrouva, évanouie dans la neige. Une coupure peu profonde lui zébrait la nuque, et du sang maculait ses beaux cheveux blonds, hérités de sa mère. Ses lèvres bleuies par le froid étaient entrouvertes.
Et elle était accompagnée d’une belle louve au pelage chocolaté.

A partir de ce moment là, Eva fut enfin respectée par ses parents. La présence de Choko, son miroir semblait leur faire peur. Quelques années après ce fameux soir de décembre, Katja se réveilla avec une étrange sensation dans son cœur sec et froid. C’était l’anniversaire de sa fille et de son fils. Evan et Eva avaient 18 ans.
Katja se leva, mue par un mauvais pressentiment. Elle ouvrit la porte de la chambre d’Eva. Pas âme qui vive.
Elle était partie.